Aller au contenu

Charles-Henry Cuin, ancien professeur à la faculté de sociologie, nous a quittés

Charles-Henry Cuin, professeur de sociologie à l'université de Bordeaux jusqu'en 2015, est décédé le 13 octobre 2025. François Dubet, professeur émérite de sociologie, a souhaité lui rendre hommage par ce texte

Publiée le

Depuis la fin des années 1960, Charly était mon ami. Nous prenions alors nos vacances ensemble, parfois à Canfranc, parfois à Gramat dans sa maison de famille. Charly m’a succédé à l’école d’éducateurs, nous avons été assistants la même année, en 1974, nous avions le même directeur de thèse, François Chazel… Il se sentait proche de Raymond Boudon, alors que j’avais rejoint l’équipe d’Alain Touraine, mais je ne me souviens pas que ces choix, pour le moins différents, nous aient opposés. J’ai vu Charly jusqu’à la fin, quand il était très faible, quand il ne pouvait plus parler, mais quand son regard le rendait si vivant, quand Lucienne s’efforçait de lui offrir une vie sociale ressemblant encore à la vie.  Aujourd’hui je pleure un ami, pas seulement un collègue dont j’admirais l’œuvre rigoureuse et austère pourtant si éloignée de mon propre travail. Après la disparition de Didier, celle de Charly me laisse de plus en plus seul. 

L’histoire de Charly est celle du département de sociologie. Un département un peu hétéroclite, placé sous l’autorité libérale de François Chazel, dans lequel chacun faisait ce que bon lui semblait et, dans quelques cas, ne faisait pas beaucoup de recherche. Charly s’était lancé dans une thèse érudite sur la sociologie de la mobilité sociale qui sera publiée en 1993. C’était un enseignant rigoureux et un ami aimant la vie et ses plaisirs. Dans un cas, il était Charles-Henry, dans l’autre, il était Charly. 
Au tournant des années 1990, le monde académique a changé. Sauf à risquer de disparaître, le département de sociologie a dû se mettre au travail. Nous nous sommes installés place de la Victoire, des collègues très actifs ont été recrutés, je pense à Joël Zaffran, à Georges Félouzis, à Jean-Marie Renouard, Didier Lapeyronnie nous a rejoints, Danilo Martuccelli a passé trois ans avec nous. Des thèses ont été soutenues et quelques étudiantes et quelques étudiants ont été recrutés. Puis d’autres vagues de recrutement ont eu lieu, un laboratoire a été créé, le Lapsac, la culture de la recherche s’est installée. Aujourd’hui perçue comme une évidence, cette mutation n’aurait pas été possible sans Charly. 

Jusqu’à la publication de son dernier ouvrage, Sociologie des croyances et de la foi, en 2022, écrit dans des conditions extrêmement difficiles, Charly a publié une dizaine de livres, parfois seul, parfois avec d’autres comme Ronan Hervouet ou Raymond Boudon. Il a publié plusieurs dizaines d’articles. Cette œuvre érudite et parfois difficile n’est ni une simple histoire de la sociologie, même si L’histoire de la sociologie a été rééditée plusieurs fois, ni une critique épistémologique de notre discipline. Elle est tout à la fois parce qu’elle me semble portée par la recherche des conditions de production de vérités scientifiques aussi limitées soient-elles. On est loin de l’air du temps, de ses vérités toutes faites, de ses querelles convenues et de ses postures. Charly a choisi l’austérité intellectuelle a priori si opposée à son goût pour le bonheur de vivre. 

Charly a contribué à l’histoire du département quand il a dirigé des thèses et s’est assuré du destin de ses étudiants, quand il a organisé avec Ronan un colloque sur Durkheim, quand il a été membre du comité de rédaction de la Revue Française de Sociologie, quand il a été membre du jury d’agrégation. Directeur du département entre 2001 et 2007 en succédant à Michel Jamet, il a dû affronter quelques tempêtes. Il a dirigé le Lapsac et a joué un rôle essentiel dans la formation du Centre Émile Durkheim. Entrant dans la maladie peu de temps après son départ à la retraite, il pouvait avoir le sentiment d’avoir « fait son boulot », d’avoir écrit une œuvre, d’avoir enseigné, d’avoir soutenu ses étudiants, d’avoir pris ses responsabilités. Charly avait des convictions théoriques robustes et bien établies, mais je ne me souviens pas qu’il ait manifesté le moindre sectarisme et le moindre désir d’assoir son autorité. 

Il nous faudra un jour rendre hommage à l’œuvre scientifique de Charly. Mais aujourd’hui c’est à la vie-même de Charly que la sociologie bordelaise doit rendre hommage. Une vie dans laquelle les amitiés ont compté autant que les idées, une vie dans laquelle les ambitions ont moins pesé que le désir de créer un collectif, une équipe, une bande d’amis. Pour moi, au terme de cinquante-cinq ans d’amitié avec Charly, c’est presque toute une vie qui s’en va avec lui. 

François Dubet 

La carrière universitaire de Charles-Henry Cuin

Carrière universitaire

  • Professeur des universités en sociologie à l'université Victor Segalen-Bordeaux 2, puis université de Bordeaux : 1999-2015
  • Professeur émérite à l'université de Bordeaux: 2015-2019

Responsabilités administratives au sein de la faculté de sociologie

  • Directeur du Département de Sociologie de l’Université Bordeaux Segalen: 2001-2007
  • Directeur du Laboratoire d’analyse des problèmes sociaux et de l’action collective – LAPSAC (EA 495) : 2007-2010
  • Membre du Conseil scientifique du Centre Émile-Durkheim (UMR 5116) : 2011-2015
  • Membre élu du Conseil de la Faculté des Sciences de l’Homme de l’Université Bordeaux-Segalen, 1995-2012

Responsabilités scientifiques

  • 1997-1999 : Membre du jury national de l’Agrégation de Sciences sociales
  • 2003-2007 : Membre nommé du Conseil national des universités -19ème section
  • 2001-2007 : Membre du comité scientifique de la revue Sociologie et sociétés – Presses de l’Université de Montréal – Canada
  • 2004-2010 : Responsable de l’organisation des enseignements de Sociologie de l’École doctorale francophone des sciences sociales (AUF) de l’Université de Bucarest – Roumanie
  • Membre du comité de rédaction de la Revue française de sociologie (CNRS)
  • Membre du conseil scientifique de la Maison des sciences de l’homme d’Aquitaine (MSHA)

Distinctions

  • Officier dans l’Ordre des Palmes académiques (28 juillet 2006)
  • Chevalier dans l'Ordre national du Mérite (2022)